(Un petit vademecum écrit à quatre mains avec la collaboration de Maître Laure Genéty, en réponse aux milles questions des patients qui plongent bien malgré eux dans le monde sinueux de l’expertise !… Ce texte est également disponible dans les “Publications”, onglet Expertise. Pour les personnes non concernées, attention, texte technique et relativement rébarbatif !)

Vous avez subi un dommage corporel et vous entendez obtenir la réparation de l’ensemble de vos préjudices.

Vous souhaitez lancer une procédure à l’encontre du praticien prétendument responsable et vous êtes sans doute un peu perdu devant le labyrinthe qui vous attend !

Voici quelques points de repères pour brosser, à grands traits, les procédures les plus fréquentes.

Bien évidemment, chaque dossier reste unique, cette page n’est là que pour donner une vue d’ensemble de la procédure habituelle et des démarches à entreprendre.

Pour des raisons didactiques, nous prendrons, pour illustrer nos propos, l’exemple d’un bridge antérieur qui ne convient pas au patient pour des raisons esthétiques.

1 / Le dialogue avant tout

Les soins dentaires sont complexes et délicats à réaliser. Si vous avez l’impression que les choses se passent mal, votre premier réflexe doit être de vous en ouvrir auprès de votre dentiste. Vous êtes avant tout soigné par un humain, souvenez-vous que l’erreur est humaine ! Exprimez-lui ce que vous ressentez, ce qui ne va pas.

  • Il faut parfois apprendre à vivre avec les prothèses, ça peut ne pas être évident tout de suite. Votre dentiste pourra vous expliquer ce qui est normal et ce qui ne l’est pas et vous donner les meilleurs conseils pour entretenir en bon état ce qui est en bouche. (Par exemple, il pourra vous montrer sur le modèle que la largeur des dents est dictée par l’espace libre, vous remontrer des photos des prévisions en cire qui avaient été faites….)
  • En cas de douleur persistante, d’insatisfaction esthétique, d’inconfort, ou autre : Il est souvent possible de corriger, voire de refaire un soin ou une prothèse. Si cette réfection est justifiée, elle ne vous sera pas facturée. (par exemple, un bridge peut être retouché en bouche pour changer un peu la forme des dents. Ou bien il peut être entièrement découpé, pour refaire un nouveau bridge, en veillant à bien valider l’esthétique avant le collage de cette seconde prothèse !)

Si votre dentiste ne tient pas compte de vos doléances, s’il refuse de vous recevoir pour assurer le suivi de ses soins, alors, et alors seulement, vous pourrez considérer que, malheureusement, le « contrat de soins » qui vous liait est rompu.

Enfin, si vous n’avez plus confiance en ce praticien et que vous ne souhaitez pas qu’il continue à travailler dans votre bouche (pour refaire entièrement le bridge par exemple), alors vous pouvez également rompre ce « contrat de soins ». Vous demanderez à votre dentiste de vous remettre l’intégralité de votre dossier (liste des rdv avec comptes rendus de séances, radios, moulages, photos). Rappelons ici que votre dossier vous appartient, vous le remettre sur simple demande est une obligation légale.

2/ Demander l’avis d’un « praticien de recours »

Vous avez reçu des soins problématiques mais vous ne pouvez ou ne voulez pas faire réparer les dégâts par le même praticien : vous entamerez alors une procédure d’Expertise dite « amiable ».

Avant cela, il est conseillé de prendre l’avis d’un autre dentiste, formé en Expertise, afin de voir si les soins en question sont réellement critiquables. Ce dentiste vous accompagnera pour la suite (si suite il y a) en tant que praticien de recours. Il ne peut en aucun cas vous soigner en parallèle (incompatibilité déontologique).

La première consultation d’Expertise chez votre praticien de recours servira à :

  • Etablir un état des lieux de votre état actuel (dans notre exemple, appréciation du bridge posé, photos, radios),
  • Etudier votre dossier (apprécier comment a été réalisé ce bridge, s’il était indiqué, ses étapes de confection, d’essayage…),
  • Vous indiquer si vos dommages sont, à première vue, imputables à une faute du dentiste (par exemple : problème de teinte avéré de la céramique choisie),
  • Définir avec vous la stratégie pour la suite (sur le plan procédural, mais également sur le plan des soins de réparation) (faut-il refaire entièrement le bridge ? …)

Cette consultation dure habituellement 1 heure et est facturée entre 200 et 400 euros généralement. Les honoraires d’Expertise ne sont pas remboursés par l’assurance maladie, ni par les mutuelles.

Si cela semble justifié et légitime à votre praticien de recours, vous entamerez alors une procédure dite « amiable » (par opposition à « judiciaire »).

Votre praticien de recours vous établira un devis pour la suite de l’accompagnement dont vous avez besoin.

3/ L’expertise amiable

  1. La procédure amiable consiste, dans un premier temps, à adresser à votre ancien praticien une lettre recommandée avec accusé de réception aux termes de laquelle :
  • Vous lui rappelez les faits litigieux (dans notre exemple : le bridge ne convient pas pour telle raison, vous n’avez pas voulu le refaire / je ne souhaite pas que vous le refassiez…),
  • Vous exprimez clairement ce que vous souhaitez (ex : le remboursement des honoraires que vous lui avez versés pour cette prothèse et la réparation de vos préjudices dont le chiffrage sera transmis ultérieurement),
  • Vous lui demandez de vous remettre l’intégralité de votre dossier médical si cela n’a pas encore été fait,
  • Vous l’invitez à se rapprocher de son assurance responsabilité civile et professionnelle dans le cadre de ce litige.
  1. Dans un deuxième temps :
  • Votre dentiste effectuera une déclaration auprès de sa compagnie assurance,
  • Vous recevrez une convocation en vue d’une réunion d’expertise amiable qui sera assurée par l’Expert mandaté par la compagnie d’assurance de votre praticien.

Au cours de cette expertise amiable, il est vivement recommandé d’être accompagné d’un praticien de recours (dentiste qui vous assistera) à cette réunion :

  • En amont, votre praticien de recours vous dira quelles pièces réunir, et rédigera probablement dès ce stade une note de synthèse (cf plus bas) qui sera adressée à l’expert de la compagnie d’assurance. Selon la complexité du dossier, cette note peut être facturée entre 800 et 2500 euros. (Dans certains cas simple, cette note peut être, en procédure amiable, un simple certificat de constatation)
  • Le jour J, le praticien de recours sera à vos côtés et s’assurera que l’expert de l’assurance de votre praticien prend en compte toutes les doléances et toutes les éventuelles fautes. L’accompagnement à cette réunion est facturée entre 300 et 600 euros généralement (+ éventuels frais de déplacement, notamment si vous souhaitez faire intervenir un praticien extérieur à votre région).

Les honoraires dus au praticien de recours sont à votre charge. Vous pouvez solliciter votre protection juridique pour savoir s’ils en prennent une partie en charge. Ce que vous débourserez entrera dans vos préjudices financiers.

Il est également conseillé d’être assisté d’un Avocat, lequel intervient généralement dès la phase amiable afin de mener les négociations. Même si cela n’est pas obligatoire à ce stade, l’assistance d’un Avocat a notamment pour intérêt :

  • De vous aider à obtenir et à rassembler l’ensemble des pièces justificatives de vos préjudices (préjudices corporels mais aussi économiques, moraux etc..)
  • De favoriser les négociations amiables puisque les échanges entre Avocats sont confidentiels. Ainsi, les parties (c’est-à-dire vous, d’une part, et le praticien et sa compagnie d’assurance, d’autre part) assistées par leur Avocat respectif peuvent librement échanger sur leurs arguments et les chiffrages des préjudices sans craindre que cela constitue un engagement ou une reconnaissance pour le cas où les négociations n’aboutiraient pas.

A défaut de pouvoir échanger confidentiellement, le chiffrage des préjudices que vous avancerez à ce stade risquerait de vous lier en quelque sorte dans l’éventuelle suite judiciaire du dossier (il sera plus difficile de revoir à la hausse vos demandes ou de rajouter de nouveaux chefs de préjudices).

Les honoraires de l’Avocat sont fixés préalablement et en toute transparence entre l’Avocat et son client. Ils sont déterminés en fonction notamment de la complexité du dossier.

Le premier rendez-vous n’est généralement pas facturé : il s’agit d’une prise de contact permettant à chacun de s’informer mutuellement.

L’honoraire principal peut être facturé forfaitairement (pour l’ensemble de la procédure) ou bien au temps passé selon un relevé de diligences transmis au client au fur et à mesure de l’avancée du dossier. Un honoraire de résultat pourra être convenu, en sus de l’honoraire principal.

Il conviendra de vous renseigner auprès de votre propre compagnie d’assurance pour savoir si vos frais d’Avocat peuvent au moins en partie, être pris en charge.

  1. Dans un troisième temps, le praticien et sa compagnie d’assurance vous proposeront une indemnisation amiable.

Si cette indemnisation vous convient (par exemple, remboursement du bridge), le litige s’arrêtera là.

Vous pourrez alors, si ce n’est pas encore fait, chercher un nouveau dentiste et recommencer / poursuivre vos soins (refaire le brigde…).

Si cette indemnisation ne vous convient pas et semble également inéquitable à votre praticien de recours et à votre Avocat (vous pourrez en discuter ensemble, à la lumière des barèmes indicatifs qui codifient assez précisément tous les dommages corporels), alors vous pourrez vous engager dans une action en justice. (Par exemple, on vous propose un remboursement du bridge, mais en fait ce bridge n’était pas indiqué, on a taillé des dents saines qui ne devaient pas être couronnées… il y a d’autres préjudices, notamment économiques qui ne seraient pas réparés par le seul remboursement proposé)

4/ L’expertise judiciaire

La procédure d’expertise judiciaire consiste tout d’abord à obtenir la désignation d’un Expert judiciaire par le Tribunal (i) puis à défendre vos droits et intérêts dans le cadre de l’expertise judiciaire en elle-même (ii).

  1. La désignation d’un Expert judiciaire nécessite la saisine du Tribunal judiciaire, le plus souvent en référé.

Il s’agit d’une procédure avec représentation obligatoire par un Avocat.

Cette procédure a pour objectif d’obtenir la désignation d’un Expert judiciaire, indépendant, qui aura pour mission de déterminer les éventuels manquements commis par le praticien mis en cause et d’évaluer sur le plan médical les préjudices subis.

A ce stade procédural, le Juge des référé ne tranche pas question des responsabilités.

Il se contente de faire droit à la demande d’expertise dans la mesure où elle est justifiée par un motif légitime au sens de l’article 145 du Code de procédure civile, c’est-à-dire destinée à « conserver ou à établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ».

Dans le cadre de sa décision, le Juge des référés fixe la provision à valoir sur les frais d’expertise, laquelle est le plus souvent mise à la charge de demandeur, c’est-à-dire de la victime, qui dispose d’un délai pour consigner cette somme auprès de la Régie du Tribunal.

Il peut être envisageable, selon les dossiers, de solliciter la condamnation de la partie adverse à vous verser une provision ad litem c’est-à-dire une somme qui permettra de compenser en tout ou partie l’avance des frais d’expertise. Cependant, la provision ad litem est rarement allouée par les Tribunaux car elle suppose la démonstration d’une obligation d’indemnisation non sérieusement contestable, c’est-à-dire que le principe de responsabilité du praticien n’est pas contesté/reconnu par la ou les parties adverses.

En pratique, c’est votre avocat qui saisira le Tribunal compétent pour demander la nomination d’un expert, en s’appuyant sur la note de synthèse de votre praticien de recours.

Si cela n’a pas été fait au préalable, votre praticien de recours rédigera une note de synthèse, qui reprend toute la trame d’un véritable « rapport d’expertise » (terme réservé aux rapports produits par les experts judiciaires).

Dans le cadre de cette note, votre praticien de recours retrace l’historique du litige, évalue les préjudices, les éventuelles fautes du dentiste, et démontre en quoi ces préjudices découlent ou non de fautes du dentiste. Cette note de synthèse peut être facturée entre 800 et 2500 euros (selon devis initial établi par votre praticien de recours). Il s’agit d’une fourchette très large car les dossiers n’ont pas tous la même complexité (parfois il y a plusieurs praticiens en cause, parfois un soin unique…). Cette note de synthèse est une pièce essentielle dans le cadre de la procédure d’expertise en ce qu’elle facilite grandement et prépare le travail de l’expert judiciaire.

Votre avocat peut vous aider à récolter les pièces manquantes (courriers recommandés rappelant vos droits notamment).

Vous serez ensuite convoqué à l’expertise judiciaire.

Il est indispensable de s’y rendre avec, à vos côtés, votre Avocat (pour la partie juridique) et votre praticien de recours (pour la partie médicale). Les honoraires du praticien de recours pour vous accompagner sont généralement compris entre 300 et 800 euros (+ frais de déplacement éventuels).

A l’issue de l’expertise, l’Expert adressera aux parties un pré-rapport.

Avec l’aide de votre praticien de recours, votre Avocat rédigera des « dires » (observations, complément d’informations, transmission de pièces…) sur le pré-rapport, et répondra aux « dires » de la partie adverse.

L’Expert rédigera ensuite un rapport définitif, dans lequel il répondra aux « dires » des parties et se prononcera sur les éventuels manquements reprochés au praticien, sur les préjudices subis, sur leur imputabilité et sur l’évaluation des différents postes de préjudices.

A la suite du dépôt du rapport définitif, les parties, par l’intermédiaire de leurs Avocats, se rapprochent dans la plupart des cas, aux fins de rechercher une solution amiable.

De deux choses l’une :

  • Soit un accord est trouvé et la compagnie d’assurance du(des) praticien(s) responsable(s) vous indemnisera directement,
  • Soit les parties ne parviennent pas à un accord et le litige devra être tranché par le Tribunal, sur la base du rapport d’expertise.

5/ La procédure judiciaire d’indemnisation

Il s’agit d’une nouvelle procédure, distincte de la procédure de référé au titre de laquelle il sera demandé au Tribunal de juger que le praticien a commis tel ou tel manquement et de vous indemniser de l’ensemble de vos préjudices y compris financiers, incluant les frais d’expertise et les frais de procédure que vous avez été contraint d’engager pour assurer votre défense.

Par principe, le Tribunal n’est pas lié par le rapport d’expertise, ce qui signifie qu’il est loisible de fonder vos demandes sur le rapport mais également de contester le rapport sur certains points afin de solliciter l’indemnisation de chefs de préjudices non retenus par l’expert ou bien de formuler un chiffrage différent.

Pour le cas où le praticien est reconnu entièrement responsable des préjudices que vous avez subis, l’ensemble des frais d’expertise est en principe mis à sa charge. Le Tribunal alloue en outre à la victime une somme au titre des frais de procédure, en remboursement d’une partie des frais d’Avocats.

6/ Et après ?

Les procédures aboutissant à l’indemnisation totale de l’ensemble de vos préjudices durent le plus souvent très longtemps (parfois des années). Il ne faut donc pas en attendre la fin avant de recommencer à vous faire soigner. Pour le cas où le principe de responsabilité du praticien est avéré, il est possible, en cours de procédure, de solliciter du Tribunal, au fur et à mesure des soins, une provision à valoir sur l’indemnisation définitive de vos préjudices.

Durant cette période, il est recommandé de déléguer à votre Avocat l’ensemble des démarches à entreprendre, afin de ne pas rajouter une charge psychique à ce que vous avez déjà traversé.

Réservez un créneau (une demi-heure par semaine par exemple) pour traiter les mails et courriers relatifs au litige, en libérant le reste de votre vie de cette question.

La fin du litige, surtout si les torts du dentiste et vos propres préjudices sont reconnus, apporte un soulagement évident aux victimes.

Malgré cela, et avant cela, vous pouvez avoir également besoin de l’aide d’un psychothérapeute pour retrouver sereinement le chemin d’un cabinet dentaire. Certaines techniques de traitements des traumatismes notamment (type EMDR) peuvent être d’un grand secours.

7/ Faut-il porter plainte au Conseil de l’Ordre ? et quand ?

Pour porter plainte auprès du Conseil de l’Ordre, l’assistance d’un Avocat n’est pas obligatoire, ni celle d’un praticien de recours.

Il vous suffit d’écrire un courrier recommandé au Conseil de l’Ordre du département dans lequel vous avez été soigné, avec une lettre expliquant le litige, et ce que vous souhaitez.

Vous serez alors invité (si vous le souhaitez, mais vous êtes libre de refuser) à une conciliation avec le dentiste, dans les locaux du conseil de l’ordre. Cette conciliation peut aboutir à un accord (par exemple, le remboursement des honoraires perçus par le dentiste pour le bridge s’il doit être entièrement refait), ou bien simplement acter votre désaccord.

A savoir : le Conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes inflige des sanctions « disciplinaires » aux dentistes qui ont commis des fautes (par exemple, une suspension temporaire d’exercice).

Il ne peut pas prononcer « d’amendes » ni contraindre le dentiste à vous indemniser de vos préjudices (autre qu’un remboursement).

La plainte auprès du Conseil de l’Ordre ne vous apporte donc pas forcément grand-chose en tant que victime et ne remplace pas les autres poursuites. En revanche, cette procédure concourt à l’amélioration des pratiques de la profession, en ce qu’elle met en évidence des comportements fautifs, des manquements dans les formations initiales ou dans les contrôles professionnels.

Enfin, sachez qu’il n’est jamais trop tard pour déposer une plainte auprès du Conseil de l’Ordre. A l’issue d’une expertise amiable ou judiciaire, vous pourrez ainsi adresser au Conseil de l’Ordre le rapport de l’Expert ou la note de synthèse de votre praticien de recours s’il y a eu accord avant l’expertise afin de signaler le litige. En effet, le Conseil de l’Ordre n’est pas informé des autres procédures (amiables ou judiciaires) en cours contre les dentistes.

En conclusion, le binôme formé par votre praticien de recours et votre Avocat vous assure un accompagnement humain et stratégique tout au long de la procédure permettant d’aboutir  à la réparation adéquate et intégrale de vos préjudices.

Dr Constance LEGER, chirurgien-dentiste praticien de recours, titulaire du Diplôme Universitaire d’Expertise en Médecine Dentaire.

Avec mes chaleureux remerciements à Me Laure GENETY, Avocat associé au sein du Cabinet Z.