Je suis chirurgien-dentiste. C’est ainsi que s’appelle mon métier, dont l’exercice est autorisé par un diplôme en « chirurgie dentaire ».

Mais qu’est-ce qu’un chirurgien ?

Un chirurgien, c’est celui qui répare le corps quand le patient ne peut plus rien faire seul pour guérir d’une maladie ou régler un problème.

Quand j’étais presqu’encore petite, un chirurgien m’a sauvé la vie (George si vous lisez ceci… merci ? c’est un peu faible, mais bien sincère !).

Les chirurgiens sont utiles. Indispensables. Ils sont bien souvent notre dernier rempart contre le désespoir.

Mais.

En médecine (à gros traits et sauf urgence), avant d’arriver à la chirurgie, il y a un processus « médical » justement :

  • Un médecin pose un diagnostic
  • Il l’explique au patient
  • Il voit avec le patient ce qui peut être mis en place en comportement, en rééducation, pour le traiter
  • En cas d’échec, ou d’emblée selon les cas, il envisage (et explique) un traitement médicamenteux et  / ou chirurgical.
  • Avant ou après cela, il met en place le cas échéant tout ce qui est possible pour éviter la récidive, et prévoit le rythme de surveillance le plus adapté au problème et au patient.

Que se passe-t-il en « dentaire » ?

Le dentiste porte dans la grande majorité des cas toutes les casquettes : il est chargé de dépister les problèmes (comme un médecin généraliste), de procéder à des examens approfondis qu’il a lui-même « prescrit » (comme un radiologue par exemple), et bien souvent de « réparer » le problème identifié (comme un chirurgien). Il est censé aussi reprendre le mode de vie du patient et mettre en place les mesures correctives pour éviter la survenue des problèmes suivants.

Où est-ce que ça a dérapé ?

Depuis quelques années (à la louche, une vingtaine ?), cette profession semble s’être investie corps et âme dans l’aspect « réparation » de sa mission. C’est une partie passionnante, exigeante techniquement (elle représente peu ou prou la totalité de notre formation initiale), gratifiante dans les yeux des patients. Mais ça n’est qu’une partie de notre métier, la plus tardive dans l’histoire de la maladie de nos patients, la plus coûteuse en santé pour chaque personne, et la plus ruineuse économiquement pour toute la société.

Est-ce dû à ce petit mot « chirurgien » accolé devant notre simple « dentiste » ? Ou plus prosaïquement à la pression d’une industrie florissante, qui n’a rien à gagner à une relation de soins qui entretient les gens en bonne santé ? Ou a des règles financières absurdes, qui récompensent toujours mieux ceux qui font les travaux les plus lourds et délaissent le reste ?

Je suis, vraiment, chaque fois émerveillée de voir quelles solutions toujours plus audacieuses sont imaginées pour rattraper des situations toujours plus catastrophiques. Des matériaux incroyables, qui imitent la nature ou même la font travailler ! On serait tenté de se croire tout puissant à recréer de l’os, à remettre des dents…

Mais face à ces situations « extrêmes », qui deviennent de plus en plus fréquentes, ma première réaction est toujours la même, et bien amère : « quel gâchis… »

Bien sûr qu’il nous faudra toujours des « chirurgiens », des réparateurs de gros dégâts, pour redonner le sourire à ceux qui l’ont perdu.

Mais où est le « dentiste de famille », qui prépare la santé de l’enfant à naître en parlant hygiène et alimentation avec les futurs parents ?

Où est le « dentiste pédiatre » qui surveille la croissance et conseille parents et enfant pour conserver cette précieuse santé ?

Où est le « dentiste généraliste » qui contrôle régulièrement ? Celui qui alerte et rééduque quand un petit problème survient ? Celui qui surveille que les mesures correctives sont bien mises en place, sont efficaces ?

Certes, il y a, à l’échelle individuelle, des éclat d’héroïsme quotidien. Mais combien faut-il de « si c’est pas remboursé par la sécu je ne le fais pas » avant d’arrêter de parler de parodontie ? Combien de « vous n’allez quand même pas m’apprendre à me brosser les dents à 50 ans » pour baisser les bras côté éducation thérapeutique ?… Pourquoi la mise en œuvre d’une médecine de bon sens ne repose-t-elle plus que sur les convictions personnelles des praticiens, contraints de les faire vivre au détriment de la santé financière de leur cabinet ?

La moindre couronne est pour moi, avant tout, le signe de  l’échec d’une prise en charge médicale et préventive. Certains échecs de prévention incombent aux patients, les médecins généralistes investis et consciencieux le savent bien. Encore faut-il que la prévention ait été présente, proposée, reproposée, adaptée aux capacités du patient, avec patience, pédagogie, bienveillance.

Je veux croire qu’une autre médecine dentaire existe, qu’elle est possible dès aujourd’hui . J’y travaille à contre courant, à mon humble échelle. En attendant le réveil des dirigeants… en attendant les changements de paradygmes qui redonneront ses lettres de noblesse à ma profession…  Alors j’œuvre à la formation des patients. Pour que, correctement informés et conscients de ce qui est possible, ils recherchent les vrais « soignants », ceux qui travaillent pour la santé et non pour le soin.

Dr Constance Leger

18 novembre 2020